A propos de Claude-Alain Planchon
L'écriture réactive qu'elle soit poétique ou autre est un art à part. C’est une pratique ancienne pour laquelle le mystère reste entier. Les mots qui s’enchaînent peuvent venir de celui qui les écrit. Ses émotions, qu’il s’agisse d’évènements, de lieux, de passions ou de souffrances font bouger sa plume. Ils renferment certainement des messages inconscients. Nous possédons en effet une mémoire ancestrale, qui garde des informations. Il suffit de la raviver souvent douloureusement pour qu'elle nous réponde. Notre main agit alors en tant que récepteur ; mais qui sait si les êtres qui nous sont chers, vivants, éloignés ou disparus n’ont pas eux-mêmes ce moyen de renouer contact pour combler le vide qui demeure en eux ? A croire qu’il existe un monde invisible peuplé d’âmes étrangères avides ou d’âmes amies. Converser ainsi leurs procurent une certaine forme de bien être qui s’apparente à notre forme de bonheur et qui nous-mêmes nous vide, nous terrorise ou au contraire nous apaise.
Pendant quelques années, je me suis installé dans cette action de coucher sur le papier tout et n’importe quoi avec passion. C’était une sorte de drogue qui m’ouvrait la voie vers un monde mystérieux. Ce fut pour moi quelque temps un refuge.
"L’écrivain est une sorte de voyant émerveillé."
André-Pierre de Mandriargues
Dualité première…
Je suis né à Nevers de mère nivernaise et de père berrichon. Je n’ai aucun souvenir de cette époque. Ceux qu’on m’a forcément racontés, je les ai faits miens forcément. Ils sont de l’encre sur du papier. Des grands-parents maternels à Nevers gâteux et gâteaux. Une grandmère paternelle à Bourges, bourgeoise, bigote, méchante. L’ancienne version de « Cruella d’Enfer » ! Elle ne m’aimait pas. Tant mieux pour moi ! Mention spéciale : ma grand-tante maternelle, Adrienne. Elle avait eu une coxite tuberculeuse. Elle était restée boiteuse. On l’avait mariée à un pauvre gars, l’oncle Paul. Il eut la noblesse de tirer sa révérence très tôt en glissant sous un train dès le début de la mobilisation. Adrienne fut la première veuve de guerre. Pensionnée, elle passait ses congés chez nous à Paris. Etant donné son handicap, j’étais son chevalier-servant. Malgré sa disgrâce, c’est la seule de la famille qui me faisait rêver. Grâce à elle, je découvris le charme désuet des opérettes. Je les ai toutes vues au Châtelet : Marcel Merkes et Paulette Merval, Annie Cordy, Jean Richard, Georges Guétary, sans oublier l’idole, Luis Mariano au cirque PINDER, « Le chanteur de Mexico » ou « Violettes impériales ». Elle détestait Tino qu’elle trouvait ampoulé…
Dualité seconde…
Nous sommes arrivés à Paris après un bref détour par le Mans (mon père appelait les manceaux, les « culs de chien »). J’avais 5 ans. Mes premiers souvenirs, je me les suis forgés là-bas. Nous habitions une luxueuse propriété « La Clairière » qui jouxtait le golf de Saint-Cloud. Cette demeure avait appartenu à la dynastie des Schneider, propriétaires des forges du Creuzot et initiatrice en France de la révolution industrielle au début du 19ème siècle. Les hauts murs, les volets électrifiés et l’imposant portail nous isolaient du monde. Comme dans « La Belle et la Bête » de Cocteau, ils abritaient un parc immense avec des « folies » abandonnées qui nous servaient d’aires de jeu. Il y avait aussi un grand verger et une merveilleuse roseraie, modèle réduit du « Hameau de la reine » à Versailles. Nous n’arrivions pas à occuper toutes les pièces de la maison. Mes parents n’en n’avaient accaparées qu’une vingtaine ! La caractéristique des domestiques était leur rapide « turn-over ». Ma mère était jalouse et mon père était coureur. Un couple de gardiens, un jardinier, une bonne à tout faire et… l’horrible gouvernante, Elise, que nous surnommions « Carabosse ». Une femme à l’esprit retord, mais avec l’apparence doucereuse d’une Mater Dolorosa. Au premier étage, maman était très malade. Elise nous surinait qu’elle allait mourir mais qu’elle s’occuperait bien de nous avec Monsieur : premier sens de l’injustice. Heureusement, maman survécut. Comme l’étiquette de la maison était sévère, je me sauvais dès que je le pouvais. Avec mes petits voisins, Miquette et Philippe, on s’enfonçait dans les bois pour s’inventer des mélodrames où l’on côtoyait parfois le diable. C’était là pour moi un vrai pouvoir : j’étais le roi, Miquette était ma princesse, et son frère Philippe, le valet ou le chien, c’était selon. Au temps du « SHAPE* », nous vivions entourés des dignitaires de l’armée américaine, accros des greens aux 18 trous. A fréquenter brièvement leurs enfants, je me forgeai très tôt une certaine idée du « rêve américain ».
En 1968, lorsque l’Europe économique et sociale fut sur pieds, « La Clairière » fut livrée aux bulldozers. Sur le terrain défriché, là où avaient vécu entourés d’esprits, les rois et des reines de mon enfance, on construisit des logements sociaux. Le nivellement par le bas se rapprochait des gens du « Golf » telle une vague meurtrière ! Dur, dur… A 19 ans, je brûlai mon nounours et je me décidai enfin à appréhender la réalité des choses. De mal en pis, à partir de ce moment-là, j’ai toujours su où me réfugier dans ma bulle.
Dualité troisième…
J’ai toujours voulu être médecin. J’ai redoublé mon bac Math-Elem (15% de reçus en 1966) ce qui ne m’a pas empêché de mener des études brillantes. J’ai commencé par la chirurgie qui ne s’est pas révélée attrayante. Je me suis orienté ensuite vers la radiologie interventionnelle pour finir en Médecine Nucléaire. Cette spécialité exigeait un haut niveau en maths et en physique. J’étais nul en biophysique mais j’excellais dans le challenge ! Je commençai par travailler à l’IGR** de Villejuif chez mon maître le professeur Maurice Tubiana. En 1973, je fus approché par le professeur Roger Perez qui me débaucha trois ans plus tard pour faire de moi son assistant à l’Hôpital Américain.
Je me souviens du premier entretien :
– Qu’est-ce-qui pourrait vous faire croire que je vais vous engager ?
– Parce qu’avec vous, je serai le meilleur !
Tout le contraire de moi, mais les mots étaient sortis de ma bouche comme ça… BANCO ! J’en pris pour 40 ans !
Dualité quatrième…
En 1985 je suis retourné à la faculté de médecine Saint-Antoine pour passer un Diplôme d’Etudes Universitaires de Cancérologie Clinique. Je fus reçu avec brio. Trois ans plus tard, je passais de la théorie à la pratique. Je m’octroyai en effet une saloperie de cancer. Stade IV, celui d’où l’on ne revient pas. Ça fout sacrément les chocottes de penser mourir à 39 ans ! Le tout c’est de ne surtout pas y croire… C’est ce que je raconte dans « Le Cancer maux à mots*** », ouvrage à l’occasion duquel je rencontrai la poétesse Anne de Commines. J’en profitai pour écrire à « quatre mains » un recueil original de poèmes****.
Dualité dernière…
Quand j’étais au lycée Hoche à Versailles, j’avais une prof de Philo., mademoiselle Cohen. Je la trouvais mauvaise parce que je la mettais mal à l’aise et qu’elle me donnait l’occasion d’en profiter. Mes notes s’en ressentaient. Une vengeance de prof facile… A ce stade, le combat est inégal. Un jour sur le chemin de la gare Rive Droite, mademoiselle Cohen courut se joindre à nous. Elle s’adressa à mon copain Patrick, le premier de la classe. Elle tenta vainement de le persuader d’entamer une carrière universitaire. Patrick dessinait des bateaux. Il ne rêvait que de voguer en mer. Trop tard, il s’était déjà inscrit dans une école de marine marchande. Je tentai alors de reprendre la conversation. Mademoiselle Cohen me lança une phrase cinglante dont seuls les pensionnés de l’Education Nationale ont le secret :
— Monsieur Planchon, ne venez pas interrompre une conversation à laquelle vous ne comprenez rien. Je sais ce que vous valez et qui vous êtes. De toute votre vie, vous ne serez jamais capable d’aligner trois mots !
Mademoiselle Cohen se trompait. C’était un professeur novice qui se protégeait de la peur par le mépris d’autrui. Son leitmotiv : « vous êtes d’une nullité crasse ! ». En fait j’aurai passé toute ma vie à écrire. Mes premiers poèmes, je les ai composés dès 8 ans. Tout en exerçant médecine, j’écrivais de nombreux articles scientifiques ainsi que des articles généraux pour « Les Nouvelles Esthétiques de Milan ».
En 2002, en tant que survivor je fondai avec Selma R. Schimmel, l’association CHOIX VITAL : Parole & Cancer®. Au sein de nos premiers groupes de parole, j’eus la chance de rencontrer un ange « Valentin » alors âgé de huit ans. Il avait un cancer des os. A sa mort trois ans plus tard, je décidai de rendre hommage à son courage et à sa mémoire. Ma fille me donna la solution : je passais des vacances près de Tours chez les Bedos. Le manoir qu’ils louaient était effrayant pour les enfants. J’écrivis une histoire pour leur fille Victoria et pour Justine. Ainsi naquit le conte « Le prince aux mains rouges » qui démythifiait ainsi le terrifiant « Cave Canem » gravé dans la mosaïque de l’entrée.
Plus tard, je demandai à l’un de mes patients, Patrice Larue, d’en faire les illustrations. Anne Delbée en écrivit la préface. Dans la jungle des éditeurs, j’eus la chance d’en trouver un pour s’associer de suite à la « bonne cause ». Le livre rencontra un franc succès, puisqu’il fut réédité deux fois. Les droits d’auteur furent reversés à « L’Oasis », la première Maison de Soins Palliatifs Pédiatriques à Seysses près de Toulouse. En 2011, Daniel Cohen (ça ne s’invente pas) directeur de la collection « Ecritures » aux éditions de L’Harmattan, publia mon premier roman d’autofiction « Sans stèle fixe ». L’année suivante, Hélène Bernardeau dite « La Crabahuteuse » me demanda via Internet, de corriger le BAT de son livre ***** « Il est moins tard que tu ne penses » pour le compte des Editions Jacques FLAMENT. J’en profitai pour présenter à l’éditeur quelques-unes de mes histoires macabres qu’il publia en 2012 sous la forme d’un recueil de nouvelles : « Traits au crayon noir ». Fort de mon succès, je me remis au travail pour écrire une histoire à travers laquelle, je pourrais raconter ce que j’avais vécu à New York lors des évènements du 11 septembre. Ainsi paru en 2013 toujours chez Jacques Flament Editions, Pas de fleurs pour Dune Parker.
La vie n’aura pas été avare avec moi. J’aurai côtoyé sans cesse le merveilleux. En 1983, j’avais eu la chance de rencontrer Madame Gilberte Cournand, célèbre galeriste, journaliste critique de danse et mécène. Elle m’initia aux pratiques de l’opéra et me présenta à mon demifrère, le danseur Larrio Ekson******. Ce sera l’objet d’un prochain livre à sortir en septembre chez Jacques Flament Editions, à partir de notre correspondance intime. Un parcours chaotique m’aura appris que tout avait un prix. Dans ce labyrinthe enfumé, j’ai fait mien l’un des grands principes de la verticalité de la vie. J’ai compris qu’il s’agissait davantage de s’affronter soi-même que de se battre contre les autres. La vie m’a confectionné un habit d’Arlequin. Il se compose de pièces affadies et colorées cousues les unes aux autres par quelque enchanteur. Pas besoin de psychanalyse, il me sied à ravir. L’écriture participe chez moi, à un processus de pacification intérieure : se retrouver soi-même pour ne pas sombrer. Mes livres sont en grande partie autobiographiques. C’est un jeu malin où se confondent fiction et réalité féconde. Ne jouons pas les faux modestes : Je suis mon héros préféré !
Arlequin se met à nu. Dans le miroir, il mire son corps…
* Supreme Headquarters Allied Powers in Europe
**Institut Gustave Roussy
***Le cancer maux à mots, série de témoignages recueillie avec la complicité de Anne de Commines pour le compte de Choix vital: Parole & Cancer®. Editions Josette Lyon, 2011.
****Il est moins tard que tu ne penses, Jacques FLAMENT Editions, 2011.
*****L’an nuit des rois, pour la collection Poètes des cinq continents, Éditions de l’Harmattan, 2011.
******The last Pow Wow of Bright Sky, in La clarté sombre des réverbères, Jacques Flament Éditions, 2014.